Jimmy Boutry nous parle de son travail sur le film 'La baguette' - Tournage en super16.
Nous venons de finir l'étalonnage du film de Yohann Perchoc ' La baguette'. Cette comédie, tournée en Super 16, nous replonge à l'époque du muet. Jimmy Boutry, jeune chef opérateur habitué des caméras numériques, a bien voulu répondre à mes questions, partageant son expérience sur ce tournage en pellicule.
Tournage Super 16 - Laboratoire photochimique: Cinelab.
Christophe: 'La baguette' est un film tourné en Super16. Il est rare de voir des films tournés en super 16 aujourd'hui (j'en étalonne 2 à 3 par an), comment as tu fait pour choisir la pellicule de tournage?
Jimmy: Ça faisait un moment que je voulais tourner en Super 16, j'ai même gardé 10 bobines pendant un an dans mon réfrigérateur. Malheureusement, à l'époque je n'étais pas parvenu à convaincre un réalisateur et son producteur de tourner en pellicule. Sur ce projet, le réalisateur Yohann Perchoc m'a fait confiance alors que c'était son premier film et je l'en remercie chaleureusement ! Ça a été une expérience très enrichissante.
Le choix de la pellicule s'est fait naturellement, la Kodak Vision 3 m'a toujours attiré dans son rendu et ses tons chauds. Le projet étant principalement en extérieur, j'ai opté pour la 250D.
Le budget était très serré alors je n'ai malheureusement pas pu faire d'essais avant le tournage. Les informations fournies sur le site de Kodak ont été fondamentales et des essais disponible sur Internet m'ont apporté leur aide.
Christophe: J’ai été très surpris par le grain de la pellicule. Je trouve le développement d'une très grande propreté et le TC HD très bien fait. Que penses tu de la texture de ton image?
Jimmy: Je m'attendais à plus de grain, ce fut une excellente surprise.
Après avoir vu "Carol" à la photo superbe d'Ed Lachman, j'étais impatient de faire l'étalonnage du film de Yohann. La texture de la Vision 3 est vraiment agréable, l'image reprend la vie que le numérique tend à lui ôter. Ce n'est pas pour rien qu'on rajoute du grain en postproduction en numérique comme tu l'a évoqué dans ton atelier '35mm Today'.
Je cherchais dans le Super 16 sa nuance qui a été au-delà de ce que j'imaginais et c'était sans compter la richesse de ses couleurs notamment sur les carnations. C'est vraiment somptueux.
Christophe : Il me semble que c’est ton premier tournage en super 16. J'ai étalonné beaucoup de tes images en Alexa ou en Red. Est ce que le tournage est différent? Plus de temps de préparation et moins de rushes?
Jimmy: Le tournage en 16, c'est retrouver une forme de rigueur qui est plutôt rare. On répète plus et comme on ne s'est autorisé que 3 prises maximum, toute l'équipe était entièrement concentrée sur chaque prise.
D'habitude, je contrôle mon image avec un moniteur calibré, le waveform, le vectorscope, l'éventuel histogramme et bien sûr ma cellule. En pellicule, il ne reste que cette boule blanche et le spotmètre. Au tout début, on se sent un peu démuni sans tous les outils technologiques. Et puis très vite, on s'adapte et on va à l'essentiel : l'image qu'on veut. On travaille plus dans un rapport de confiance que ce soit avec le réalisateur, avec son équipe ou même avec soit-même. On est également plus en contact avec ce qu'on filme, ce n'est plus l'écran qu'on regarde mais le comédien.
Christophe : Du coté étalonnage, le super 16 est une image qui réagit différemment. J’ai mis quelques minutes à trouver la bonne direction, le meilleurs étalonnage. Qu’as tu pensé de la séance d’étalonnage et du resultat final.
Jimmy: Effectivement, la pellicule réagit très différemment par rapport à l'image d'une Alexa ou d'une RED. Notre phase de recherche m'a beaucoup appris. J'ai été impressionné de voir avec quelle aisance les rushes ont encaissés des directions d'étalonnage très différentes et comment tu as creusé la bonne direction jusqu'à trouver le meilleur étalonnage. C'est étrange parce que c'était dans le parfait prolongement de l'ambiance du tournage, la magie de la pellicule !
Le film est un conte sympathique qui rappelle l'époque du muet et certains films de Jacques Tati, le Super 16 était pour moi le choix idéal et le résultat confirme tout à fait ce ressenti.
Christophe Est ce que ton regard est différent sur les opérateurs qui ont tourné en argentique depuis ce tournage? Auras tu envie de renouveler l’expérience? Un truc a dire à l’opérateur qui ne connais pas le tournage pellicule.
Jimmy: Ce tournage a confirmé mon sentiment sur la pellicule et le travail fantastique d'opérateurs qui ont merveilleusement mis en image des histoires en argentique, surtout avant l'étalonnage numérique. Aujourd'hui avec l'étalonnage, on peut corriger, prolonger et sublimer le travail fait sur le tournage. Pour eux, l'essentiel était là au tournage et sans voir l'image de leurs yeux.
J'ai une immense envie de renouveler l'expérience sur des projets plus complexes. Et ça va dans la bonne direction : là où j'ai une Alexa, un assistant caméra avec qui je collabore régulièrement, Daniel Afonso, vient de faire l'acquisition d'une Aaton Super 16. On a déjà fait quelques essais et on prévoie d'en refaire avec les 2 caméras côte à côte.
J'aime la rigueur et la confiance que la pellicule impose et j'aime la vie qu'elle insuffle à l'image. Avant j'étais vissé sur mon écran pendant les prises contrôlant le cadre, le point, la lumière, etc. Sur ce projet, je regardais à peine le retour qui était en SD. Depuis, je suis moins sur le moniteur, je me concentre plus sur ce qu'il y a devant la caméra et le travail en équipe. Ça me rend plus disponible pour le réalisateur et les équipes et je suis plus serein sur le plateau.
Pour l'opérateur qui ne connait pas la pellicule, s'il se sent vraiment à l'aise en numérique, je lui conseille d'essayer au moins une fois. Ça le fera indubitablement avancer, même en numérique.
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